Deux jours maintenant qu’il fixait le plafond de sa chambre, sans rien avaler, sans émettre le moindre son. Sa mère et ses sœurs, mortes d’inquiétude, se relayaient à son chevet, tentant désespérément de trouver la source de cet état : en vain. Jae Hwa était perdu dans sa contemplation, sourd aux supplications de sa famille, aveugle à leurs efforts de le comprendre. À première vue, il aurait pu sembler en état de choc, ou alors dans un état presque végétatif. Mais en fait, il ne faisait qu’utiliser la méthode la plus efficace pour se protéger lui-même ainsi que les autres de ses sentiments : dresser un mur entre lui et le monde
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Si en apparence il restait immobile, indifférent à ce qui l’entourait, une guerre sans merci se déroulait dans son esprit. Les sentiments les plus puissants le dévoraient de l’intérieur, le tuant à petit feu. De surcroit, tous les sentiments qu’il ressentait semblaient dupliqués par deux. Il n’était pas en colère, il était fou de rage. Il n’était pas triste, il était anéanti. Il n’était pas blessé, il était tout simplement déchiré. Il n’avait pas peur, il était terrorisé. Il ne sentait pas abandonné, il se sentait trahi. Mais par-dessus tout, il se sentait seul. Malgré tous les gens qui l’entouraient, il se sentait vide. Même au milieu d’un centre commercial, il se sentait seul au monde.

Durant trois ans, il s’était imaginé que dès son retour, il pourrait reprendre la vie qu’il avait été forcé de quitter. Mais il avait eu tort. À chaque jour, il avait imaginé renouer les liens avec tous ses amis, retrouver celui qu’il aimait, continuer à vivre dans sa famille unie. Mais tout ça n’existait plus depuis longtemps. Maintenant qu’il était de retour, il réalisait cruellement que la Terre n’avait pas arrêté de tourner sans lui. Et que tout le monde qu’il aimait avait réussi à vivre avec son absence. Et c’est seulement maintenant qu’il réalisait que toutes ses relations n’avaient toujours été que mensonge. Trois ans plus tôt, il avait des dizaines d’amis, pourtant il n’avait reçu aucunes nouvelles d’eux lorsqu’il était enfermé. Trois ans plus tôt, il avait une famille qui malgré la violence, était unie. Maintenant, cette famille était grugée par le deuil et la tristesse. Trois ans plus tôt, il était populaire, tout le monde l’aimait. Maintenant quand il se promenait dans la rue, ses voisins détournaient le regard pour ne pas le saluer, les mères écartaient leurs enfants. Il n’était plus le séduisant Park Jae Hwa, il n’était plus qu’un délinquant doublé d’un meurtrier. Trois ans plus tôt, les regards qui se posaient sur lui étaient empreints d’admiration, maintenant ils n’étaient que mépris et pitié.

Trois ans plus tôt, il avait un meilleur ami, un amant, un amoureux. Un amoureux qu’il avait continué d’aimer passionnément, jusqu’à en mourir de chagrin. Mais après leurs houleuses retrouvailles, Jae Hwa avait réalisé que son bien-aimé l’avait abandonné dans le pire moment de sa vie. Qu’il l’avait égoïstement quitté. Qu’il l’avait oublié avec d’autres amis. Et surtout : jamais, en trois ans, il n’était passé le voir. Il n’avait pas agi comme si Park était en prison, il avait agi comme s’il était mort. Et ça, Jae n’arrivait pas à le supporter.

Mais au cours de ces deux jours de réflexion, Jaehwa en était venu à une conclusion positive. Une seule. Mais une qui comptait plus que tout : il avait une amie. Une vraie amie, qui était venue le voir en prison, qui l’avait écouté, qui l’avait supporté. Et il lui en était reconnaissant. Et en ce moment de détresse, il n’avait plus qu’une seule envie : la voir, elle.

Pour la première fois depuis deux jours, il se leva. Il quitta sa chambre, la maison sous le regard perplexe de ses sœurs. Perdu dans son nuage de doute, il n’aurait su dire comment il avait atteint la résidence d’Iseul, mais une chose était sur : il n’avait envie d’être nulle part ailleurs à l’instant. Il frappa à la porte et pria, pria désespérément qu’elle soit là.

Pour la première fois depuis deux longues journées, il sourit. Il sourit lorsque la jeune femme qu’il attendait arriva par derrière et lui sauta au cou. Il lui rendit son étreinte alors qu’elle s’élançait sur une conversation à sens unique, qui le fit rire légèrement. Comme il aimait ce petit côté chez elle de tant parler lorsqu’elle était énervée, dans un sens, ça lui rappelait celui qu’il aimait. Sans qu’il n’ait pu répondre quoique ce soit, il était déjà attiré à l’intérieur et que leurs regards se trouvaient à nouveau. Finalement, elle lui demanda s’il voulait un peu de thé, ce à quoi il répondit en hochant positivement la tête. Il s’empressa de lui rendre son sourire sincère également. Avant qu’elle ne lui échappe à nouveau pour aller faire du thé, il souffla finalement : « tu me laisse deux petites minutes pour que je réponde à ta question avant de changer de place à nouveau, petite sauterelle ? »

Il eut un léger rire avant de se concentrer pour se rappeler toutes les questions qu’elle lui avait balancé en pleine poire dès son arrivé. « Donc… je suis là parce que j’avais vraiment très envie de te voir. Pour être honnête avec toi, j’ai déjà été mieux, en fait mon moral est assez bas. Je suis sorti depuis environ une semaine, je crois bien. Je n’ai pas mangé, mais je n’ai plus vraiment d’appétit depuis deux jours. Mon retour dans la société ne se déroule pas vraiment, en fait pas du tout, comme je l’avais espéré. » Il laissa filer un long soupire d’entre ses lèvres. Il aurait parru vraiment pessimiste de dire qu’en fait c’était complètement l’horreur et qu’il ne voyait pas vraiment de différence avec son isolement de prisonnier et sa solitude d’homme libre. Mais il s’abstint. Après tout, il ne voulait pas la traumatisé et lui faire perdre le sourire dans les premières minutes de son arrivée. Il était venu pour se confier, certes. Mais aussi pour qu’elle lui redonne un peu de chaleur, un peu d’espoir dans sa triste existence, chose qu’elle avait toujours réussi à faire lors de ses visites durant les trois dernières années. Elle était vraiment très importante pour lui, comme amie évidemment, et c’était seulement maintenant qu’il s’en rendait compte.

Sortant de ses pensées, dans lesquelles il avait tendance à s’égarer souvent depuis sa sortie de prison, il lui offrit un joli sourire avant d’enchainer. « Oh et à mon tour ! Toi, comment vas-tu ? Le travail, ça va bien ? Et côté cœur ? Je ne te dérange pas j’esp ère ? Ce n’est pas très poli de ma part de débarquer comme ça, sans avertir. Mais je m’en voulais un peu de ne pas avoir pris le temps de t’informer de ma libération. C’était pas prévu tu vois, ils sont arrivés comme ça et hop, j’étais libre. Pour bonne conduite ou quelque chose du genre. » Il s’arrêta soudainement de parler alors qu’il réalisait qu’au final, il n’était pas mieux qu’elle : il était en tout point aussi moulin à parole. Mais bon, il y avait longtemps tout de même qu’ils ne s’étaient pas vus, ils avaient beaucoup de chose à rattraper.